Big yéti et ses fans !
Le 07 septembre 2014, je suis sur la
ligne de départ à côté d'un yéti violet... Je profite de
l'instant au milieu de la foule de coureurs. J'ai le sourire. Dans
quelques instants, nous serons tous lancés sur un parcours long de
330km et 24000m+. Au-delà des chiffres, je me languis de faire
partie d'une aventure humaine intense. Le formidable accueil des
valdotains n'est pas un mythe mais bien une réalité. Les rues de
Courmayeur sont bondées pour accueillir la 5ème édition du Tor des
Géants,
Je me sens prêt physiquement et
mentalement. Avec mes amis Thierry et Bruno, nous avons écumé le
Mercantour tout l'été. Les sensations sont excellentes même si je
doute sur un point : mon pied gauche. Depuis le mois de mars,
des gonflements apparaissent systématiquement après un effort de
plus de 50km. Ils disparaissent au bout de quelques jours, ce qui ne
m'a jamais pénalisé pour m'entraîner. Cette fois, l'effort
prolongé annoncé peut contrarier le bon déroulement de la course.
Quelques jours auparavant et pour la première fois, je me suis rendu
chez un ostéopathe pour corriger le problème. A quelques minutes du
départ, j'ai complètement oublié la douleur lancinante.
Le décompte final terminé, je suis
mon ami Thierry déguisé en Yéti. La forme violette désarticulée
se laisse vite distancer par le peloton. Je suis hilare. En dernière
position, la bête goguenarde jouit d'un succès incroyable auprès
du public. Les pauses photos succèdent aux pauses photos, au point
que le serre-file s'impatiente sérieusement. Le yéti réunit alors
toutes ses forces pour rallier le rond point qui marque la fin du
centre-ville. Le masque tombe et Thierry réapparaît ruisselant de
sueur ! Pour sûr, il y a laissé des poils ! Avant
d'entamer la première ascension nous rejoignons quelques coureurs.
Un énorme bouchon se crée au début de la montée du col de l'Arp.
Je me faufile comme je peux et je patiente un long moment avant de
retrouver une piste qui me permet de doubler plus facilement. La
course est encore longue. Mon pied gauche se rappelle à moi
rapidement. Ce n'est pas bon signe, je n'ai pas encore fait de
descente. Je décide d'oublier la douleur en espérant qu'elle
passera. La bascule vers la Thuile accentue mes doutes. Je mettrai le
clignotant à Cogne après 100 km à lutter contre ma blessure. Je retiens mes
larmes. Thierry est encore en course.
Quelques jours plus tard, l'IRM révèle un syndrôme du carrefour postérieur au pied gauche.
Près du col de l'Arp (photo Bruno Gros)
Il est difficile de vous décrire le
parcours et les magnifiques paysages traversés. D'autres le feront
mieux que moi. Je préfère vous raconter mon regard sur l'épreuve.
De retour à Courmayeur, je retrouve
Bruno qui a abandonné à Rhemes pour cause de vomissements et de
problèmes gastriques. La déception est de taille mais nous décidons
de suivre Thierry et d'autres coureurs.
De bases de vie en bases de vie, nous
allons découvrir des hommes et des femmes épuisés, au fond du
trou, hagards, délirants, souriants ou pleurants. Être spectateur
du Tor des Géants, c'est assister à un ballet d'émotions. Les
proches des coureurs ont souvent la larme à l’œil. Cette course
est hors-norme. Les bénévoles sont des mères pour les
participants. Leur accueil et leurs sourires sont une bouffée de
chaleur incroyable dans les nuits les plus noires et les plus
froides.
Le Tor des Géants, c'est aussi des
coureurs qui prennent des camping-cars ou des voitures pour aller
plus vite. Désolant. Un grand nombre n'hésite pas à
« s'empiffrer » d’anti-inflammatoires, médicaments ou
autres produits miracles. Pathétique. Quelle gloire à tirer de
telles pratiques ? J'ai infiniment plus de respect pour un
coureur comme Thierry qui sans assistance et médicaments boucle son
cinquième Tor des Géants. Si le défi est trop grand, faut-il avoir
recours à tout et n'importe quoi pour avancer ? Nous sommes
loin du débat, bâton ou sans bâton. Ce dernier à toujours fait
partie du milieu de la montagne, du berger de l'antiquité aux
randonneurs et skieurs de notre siècle.
Mon abandon et l'observation de la
course ont accentué mes interrogations sur le trail qu'on ne sait
plus vraiment définir. Certains critiquent l'effort longue durée,
ses risques potentiels pour le corps. D'autres blâment ceux qui
tournent autour d'un stade. Avant de juger, mieux vaut analyser ses
propres motivations. Autant de coureurs, autant de pratiques. Pourquoi
opposer les traileurs aux routards ? Les coureurs aux
marcheurs ? Les ultras fondus aux pistards. Chacun peut apporter
à l'autre dans le respect de soi et des autres. Je n'appartiens à
aucune catégorie. Pour ma part, et je ne suis pas le seul, j'aime
l'effort pour rester en forme et mieux comprendre mes limites. Je ne me retrouve pas dans « l'esprit trail » ou d'autres corporatismes
qui ne sont qu'une illusion. Il est dommage de s'enfermer dans une
pratique quand tant d'autres nous tendent les bras. Varions les
plaisirs et surtout amusons-nous ! Le sport n'est sérieux que
pour les professionnels et celles et ceux qui en ont besoin pour
sortir de la misère.
Aujourd'hui, le Tor des Géants fait
rêver par ses chiffres démesurés. Mais l'essentiel est ailleurs.
Il est une aventure en soi, une découverte de ses propres limites
mais aussi de paysages et de personnes formidables. Il y a deux
courses en une sur le Tor des Géants (comme pour beaucoup
d'autres!) : celle des amoureux de l'effort en nature et celle des
amoureux de reconnaissances. Celui qui a son nom en haut de la
liste des résultats mérite autant de respect que le dernier
d'une course. A chacun son combat, à chacun ses défis. Je tire un
grand coup de chapeau à mon ami Thierry qui véhicule un grand
nombre de valeurs, celles de l'amitié, du partage, du respect et de
la joie dans l'effort.
J'ai encore beaucoup de choses à
apprendre et la course en montagne ou ailleurs est un véritable
éclairage. Blessé aujourd'hui, demain sera une autre histoire...