jeudi 25 septembre 2014

Hommage à Hervé

Hervé Gourdel

Un homme de la montagne est mort hors de son milieu, loin de sa vallée. Des fanatiques lui ont enlevé la vie parce qu'il était français. Je le croisais parfois sur les pentes enneigées et sa gentillesse de même que son sourire m'ont marqué. Ce montagnard aguerri sera toujours proche des cimes du Mercantour. Une grosse pensée pour toute sa famille qui traverse cette terrible épreuve. 
Voici quelques lignes écrites en pensant à lui.

HERVE


Ton regard est posé sur les roches des sommets.
Chaque pas nous tourne vers toi, ton cœur et ta bonté. 
Ta vallée est l'écrin de ton sourire durable
Qu'aucun de tes barbares ne changera en sable.

Je te revois glisser dans la pureté neigeuse
Aux flocons des beautés sans fard et ravageuses.
Tu savais les capter pour mieux les partager.
Les montagnes t'ont aimé et offert leurs secrets.

Pierre de lune, pierre précieuse, tu brilles dans le ciel France,
Au travers des nuages, par-delà les frontières.
Ton âme repose en paix, loin des bombes de la guerre.

L'oraison de l'automne est feuille de tolérance.
Dans la colère immense, la raison tombe par terre.
Ton vide est un orage, ses éclairs ta lumière.

mardi 16 septembre 2014

Tor des Géants 2014 : au-delà du rêve, la réalité

Big yéti et ses fans !

Le 07 septembre 2014, je suis sur la ligne de départ à côté d'un yéti violet... Je profite de l'instant au milieu de la foule de coureurs. J'ai le sourire. Dans quelques instants, nous serons tous lancés sur un parcours long de 330km et 24000m+. Au-delà des chiffres, je me languis de faire partie d'une aventure humaine intense. Le formidable accueil des valdotains n'est pas un mythe mais bien une réalité. Les rues de Courmayeur sont bondées pour accueillir la 5ème édition du Tor des Géants,
Je me sens prêt physiquement et mentalement. Avec mes amis Thierry et Bruno, nous avons écumé le Mercantour tout l'été. Les sensations sont excellentes même si je doute sur un point : mon pied gauche. Depuis le mois de mars, des gonflements apparaissent systématiquement après un effort de plus de 50km. Ils disparaissent au bout de quelques jours, ce qui ne m'a jamais pénalisé pour m'entraîner. Cette fois, l'effort prolongé annoncé peut contrarier le bon déroulement de la course. Quelques jours auparavant et pour la première fois, je me suis rendu chez un ostéopathe pour corriger le problème. A quelques minutes du départ, j'ai complètement oublié la douleur lancinante.
Le décompte final terminé, je suis mon ami Thierry déguisé en Yéti. La forme violette désarticulée se laisse vite distancer par le peloton. Je suis hilare. En dernière position, la bête goguenarde jouit d'un succès incroyable auprès du public. Les pauses photos succèdent aux pauses photos, au point que le serre-file s'impatiente sérieusement. Le yéti réunit alors toutes ses forces pour rallier le rond point qui marque la fin du centre-ville. Le masque tombe et Thierry réapparaît ruisselant de sueur ! Pour sûr, il y a laissé des poils ! Avant d'entamer la première ascension nous rejoignons quelques coureurs. Un énorme bouchon se crée au début de la montée du col de l'Arp. Je me faufile comme je peux et je patiente un long moment avant de retrouver une piste qui me permet de doubler plus facilement. La course est encore longue. Mon pied gauche se rappelle à moi rapidement. Ce n'est pas bon signe, je n'ai pas encore fait de descente. Je décide d'oublier la douleur en espérant qu'elle passera. La bascule vers la Thuile accentue mes doutes. Je mettrai le clignotant à Cogne après 100 km à lutter contre ma blessure. Je retiens mes larmes. Thierry est encore en course.
Quelques jours plus tard, l'IRM révèle un syndrôme du carrefour postérieur au pied gauche. 

Près du col de l'Arp (photo Bruno Gros)

Il est difficile de vous décrire le parcours et les magnifiques paysages traversés. D'autres le feront mieux que moi. Je préfère vous raconter mon regard sur l'épreuve.
De retour à Courmayeur, je retrouve Bruno qui a abandonné à Rhemes pour cause de vomissements et de problèmes gastriques. La déception est de taille mais nous décidons de suivre Thierry et d'autres coureurs.
De bases de vie en bases de vie, nous allons découvrir des hommes et des femmes épuisés, au fond du trou, hagards, délirants, souriants ou pleurants. Être spectateur du Tor des Géants, c'est assister à un ballet d'émotions. Les proches des coureurs ont souvent la larme à l’œil. Cette course est hors-norme. Les bénévoles sont des mères pour les participants. Leur accueil et leurs sourires sont une bouffée de chaleur incroyable dans les nuits les plus noires et les plus froides.
Le Tor des Géants, c'est aussi des coureurs qui prennent des camping-cars ou des voitures pour aller plus vite. Désolant. Un grand nombre n'hésite pas à « s'empiffrer » d’anti-inflammatoires, médicaments ou autres produits miracles. Pathétique. Quelle gloire à tirer de telles pratiques ? J'ai infiniment plus de respect pour un coureur comme Thierry qui sans assistance et médicaments boucle son cinquième Tor des Géants. Si le défi est trop grand, faut-il avoir recours à tout et n'importe quoi pour avancer ? Nous sommes loin du débat, bâton ou sans bâton. Ce dernier à toujours fait partie du milieu de la montagne, du berger de l'antiquité aux randonneurs et skieurs de notre siècle.

Mon abandon et l'observation de la course ont accentué mes interrogations sur le trail qu'on ne sait plus vraiment définir. Certains critiquent l'effort longue durée, ses risques potentiels pour le corps. D'autres blâment ceux qui tournent autour d'un stade. Avant de juger, mieux vaut analyser ses propres motivations. Autant de coureurs, autant de pratiques. Pourquoi opposer les traileurs aux routards ? Les coureurs aux marcheurs ? Les ultras fondus aux pistards. Chacun peut apporter à l'autre dans le respect de soi et des autres. Je n'appartiens à aucune catégorie. Pour ma part, et je ne suis pas le seul, j'aime l'effort pour rester en forme et mieux comprendre mes limites. Je ne me retrouve pas dans  « l'esprit trail » ou d'autres corporatismes qui ne sont qu'une illusion. Il est dommage de s'enfermer dans une pratique quand tant d'autres nous tendent les bras. Varions les plaisirs et surtout amusons-nous ! Le sport n'est sérieux que pour les professionnels et celles et ceux qui en ont besoin pour sortir de la misère.
Aujourd'hui, le Tor des Géants fait rêver par ses chiffres démesurés. Mais l'essentiel est ailleurs. Il est une aventure en soi, une découverte de ses propres limites mais aussi de paysages et de personnes formidables. Il y a deux courses en une sur le Tor des Géants (comme pour beaucoup d'autres!) : celle des amoureux de l'effort en nature et celle des amoureux de reconnaissances. Celui qui a son nom en haut de la liste des résultats mérite autant de respect que le dernier d'une course. A chacun son combat, à chacun ses défis. Je tire un grand coup de chapeau à mon ami Thierry qui véhicule un grand nombre de valeurs, celles de l'amitié, du partage, du respect et de la joie dans l'effort.

J'ai encore beaucoup de choses à apprendre et la course en montagne ou ailleurs est un véritable éclairage. Blessé aujourd'hui, demain sera une autre histoire...